Roussan Camille est né le 27 août 1912 à Jacmel. Il est mort le 7 décembre 1961. Raphaël Berrou et Pradel Pompilus ont écrit à la page 237 de Histoire de la littérature haïtienne, illustrée par les textes, tome 3, paru en 1977, que Roussan Camille est mort victime de ses excès. Nous ajouterons qu’il faut forcément être dans un certain excès, qui va jusqu’à essayer d’absorber le monde, pour écrire Nedje ou Front haut et surtout que l’excès fait souvent du bien.
Roussan Camille a, comme Jacques Roumain, de 5 ans son aîné, comme Jacques Stephen Alexis, chacun à leur manière, cru au mélange des mondes, des regards, pour construire des villes, des hommes et des femmes qui pourraient, à force d’avoir glané partout de la beauté et de l’humanité, inventer le pays où la vie serait belle pour tous.
L’écriture est un métier des cinq sens. Roussan Camille a vu et il a touché, et on touche avec lui, on regarde avec lui, aujourd’hui encore. On lui vole même un peu de sa nostalgie mélangée à la fumée de ces bars et dancings desquels il est sorti chargé de mots et d’images.
Quand les bras de Roussan Camille « … étreignent dans le noir des tailles impossibles », on l’accompagne dans ces villes qui s’appellent Casablanca, La Havane, on souffre avec lui aussi, comme lui, des inégalités du monde.
Roussan Camille était journaliste, diplomate, grand témoin de son temps. Il a, très tôt, épuisé son crédit de vie, en mettant les bouchées doubles, se jetant sur tout avec frénésie et enthousiasme. Roussan Camille a reçu, en 1961, le prix Dumarsais Estimé pour l’ensemble de son œuvre et en 2004 le prix Deschamps pour l’ensemble de son œuvre également.
Evidemment, nous n’avons pas su pérenniser le prix Dumarsais Estimé; le prix Deschamps continue à se chercher.
Nedje est le poème le plus connu de Roussan Camille et l’un des plus connus et des plus beaux de toute la littérature haïtienne. C’est un texte d’une grande actualité comme nous avons déjà eu l’occasion de l’écrire dans les colonnes du Nouvelliste, qui enlève à la justice le monopole de la défense des mineurs abusés.
Le Nouvelliste vous propose aujourd’hui, pour rendre hommage au grand poète centenaire, le poème « Front haut » qu’il avait dédié à Jacques Stephen Alexis dont l’année 2012 ramène le 90e anniversaire de naissance.
Emmelie Prophète
Front haut
A Jacques Stehphen Alexis
Je traînai le carrosse de Caradeux.
Dans une savane
sans femmes,
tout près de La Havane,
moi l’enfant fou des rudes voluptés
je dansai seul la première rumba.
Mes bras
étreignaient dans le soir
des tailles impossibles
qui rythmaient leurs appels
aux cliquetis de mes chaînes.
Je semai des douleurs aux sillons du souvenir.
Portant mes espoirs
en étendard,
Bolivar vainquit les troupes espagnoles.
Je soutins le trône fragile
de l’empereur du Brésil
avec ces mêmes bras
dont Savannah
et Cuba
oublient le geste.
Mais la boue des champs de bataille
et les sillons
des plantations
sont gonflés de mes douleurs fécondes.
Au bout de l’avenir,
j’ai des étoiles à cueillir,
Ah ! tremble, vieux monde magnifique et triste,
car voici le temps de ma récolte d’étoiles.
Roussan Camille